L’accès à l’eau potable est un véritable casse-tête à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). Goma borde le lac Kivu, qui possède un volume net non consommé de 2,75 milliards de m³. La ville abrite également deux autres lacs.
Goma dispose de services de distribution d’eau, tels que la Régie de distribution d’eau (Regideso), une entreprise étatique. Il existe également des sociétés et initiatives privées comme la Société Congolaise de Distribution d’Eau et d’Électricité (SOCODEE).
En outre, le forage constitue un autre moyen d’accès à l’eau dans cette ville construite sur des roches volcaniques.
Pourtant, selon la recherche que nous présentons ici, avoir de l’eau potable, ou de l’eau tout court, est un parcours de combattant dans beaucoup de quartiers de Goma.
Qu’est-ce qui explique ce « contraste » et quelle est la part des parties prenantes pour une solution durable ?
« C’était difficile pour nous d’avoir de l’eau potable dans nos robinets, chaque fois nous observons des pénuries d’eau sans raison valable », explique Furaha Esther, mère de sept enfants, rencontrée au quartier Himbi, au Sud-Ouest de la ville.
Dans le quartier Mikeno, Amani Jackson, père d’une famille de trois enfants, indique que le meilleur moment pour trouver de l’eau potable est la nuit. « La plupart du temps, il n’y a pas d’eau chez moi pendant la journée, elle arrive le soir ou la nuit. »
À Katoyi, un quartier de Goma, les populations font recours à des bornes fontaines qui desservent de l’eau. Ici, l’agent arrive à 6h00 pour ouvrir le robinet jusqu’à 18h00, puis le ferme. « N’importe quand, nous trouvons de l’eau sauf s’il y a une pénurie profonde partout dans la ville », déclare Alice Bahati, une jeune habitante de ce quartier.
Il existe des quartiers où l’eau est disponible presque tout le temps, comme les quartiers Les Volcans, Mabanga Sud et Kyeshero. Les lamentations ne sont pas si nombreuses de la part des populations de ces quartiers. Arsène Kasereka, habitant du centre-ville, précise que « la pénurie d’eau n’est pas fréquente parce que l’eau coule dans nos robinets chaque fois ».
Pour Jean Paul Mulagizi Nyunda, Président du Conseil de la jeunesse de Himbi et défenseur des droits humains, il est inconcevable que la REGIDESO ait du mal à couvrir toute la ville de Goma en eau alors qu’elle a été renforcée en générateur pour stimuler ses pompes par certaines organisations.
Il déplore également le monnayage observé pour l’acquisition des compteurs d’eau dans la ville de Goma.
Ces pénuries d’eau potable affectent négativement le quotidien des habitants sur tous les plans.
L’eau de pluie est un danger dans la ville. Goma est voisine des chaînes volcaniques actives dont le Nyamulagira, Mikeno, et Nyiragongo. Ces volcans propagent des fumées avec des toxines chimiques.
L’Observatoire Volcanologique de Goma (OVG) a déjà publié plusieurs communiqués encourageant la population à ne pas utiliser l’eau de pluie pour la boire, se laver ou cuisiner. Mais certains habitants, face au manque, s’exposent au danger en utilisant l’eau de pluie.
Samson Kikwamani, agent de santé publique et superviseur eau et assainissement au bureau central de la zone de santé de Karisimbi, note que les maladies d’origine hydrique sont fréquentes dans la zone, comme le choléra et la fièvre typhoïde.
La pénurie d’eau potable à Goma n’est pas une nouveauté. Cette situation a révolté les jeunes qui ont initié des actions depuis des années pour réclamer l’accès à l’eau potable.
En 2017, la LUCHA (Lutte pour le Changement) avait même déposé une pétition de 3 500 signatures demandant au gouverneur de la province de l’époque, Julien Paluku, de s’engager à relier certains quartiers au réseau d’adduction et de publier un plan pour la fourniture d’eau à toute la ville.
La REGIDESO dessert la ville de Goma en eau potable, avec également des transporteurs d’eau par camions citernes et sur vélos. Actuellement, Goma compte plus de 40 forages, selon Jules Simpeze, coordonnateur de la Régie Provinciale du Service Public de l’Eau du Nord-Kivu.
Lors de l’élaboration du plan d’investissement de la province du Nord-Kivu, le taux d’accès à l’eau potable était estimé à 34 % dans la ville et 17 % sur toute l’étendue de la province. Lors de cette enquête, nous avons constaté que des ouvrages tels que des tuyaux et des bornes fontaines sont disséminés dans la ville de Goma mais ne sont pas régulièrement approvisionnés en eau potable.
D’après une étude menée par l’Autorité du bassin du lac Kivu et de la rivière Ruzizi (ABAKIR) en 2020, les apports en eau par ruissellement vers le lac Kivu à partir des cours d’eau du bassin du lac Kivu sont estimés à environ 3,2 milliards de m³ par an.
Ils s’ajoutent aux 3 milliards de m³ de précipitations directes au niveau du lac, tandis que l’évaporation directe à la surface libre de celui-ci est estimée à 3,45 milliards de m³.
Sur une base annuelle, le bilan en eau du bassin versant du lac Kivu présente donc un volume net non consommé de 2,75 milliards de m³. Mais ces potentialités ne servent à rien si l’on ne dispose pas de matériels pour la canalisation et le traitement de l’eau.
« Il faudrait une enveloppe de 3,6 millions USD pour une solution durable à la question de la desserte en eau potable en faveur des habitants de Goma et des territoires voisins », a dit David Angoyo Rutia, directeur régional de la Regideso Nord-Kivu, dans une interview accordée en marge de cette enquête.
« Le problème de desserte d’eau en ville de Goma est une réalité qui ne dépend pas directement de notre service. Mais nous nous penchons sur cette question et je vous rassure que d’ici peu, ce problème appartiendra au passé. »
Il a poursuivi en détaillant les défis rencontrés : « Nous sommes conscients que la demande en eau potable doit être satisfaite. Cependant, il se pose un problème d’infrastructure et de capacité de production. Aujourd’hui, avec la démographie des deux communes réunies de Goma et une partie importante du territoire voisin de Nyiragongo dans sa partie sud… »
La Regideso, pour la seule ville de Goma, a besoin d’équipements pour une capacité de production d’au moins 100 000 m³ par jour. Actuellement, la Regideso produit et distribue 50 000 m³ par jour, soit la moitié des besoins de la population.
Les quartiers éloignés souffrent particulièrement de cette situation : « C’est pourquoi vous remarquerez que dans les quartiers éloignés, il y a des difficultés d’approvisionnement. Ces difficultés sont liées à l’énergie électrique, qui est en cours de résolution » explique t-il.
Avec les pannes que nous avons enregistrées ces dernières semaines, les quartiers les plus touchés ont été ceux de la commune de Karisimbi : Majengo, Mabanga Nord, Katoy, Kasika, Bujovu, Buhene et même Munigi », ajoute le directeur.
Il a cependant apporté une note d’espoir : « Notre gouvernement central, par le truchement du ministère des Ressources hydrauliques, a inscrit la ville de Goma dans le programme AGREE de la Banque mondiale. Ce programme vise l’amélioration de la gouvernance et l’accès à l’électricité et à l’eau, ce qui permettra de financer la construction et le développement de nouvelles infrastructures.
Ainsi, nous aurons additionnellement 40 000 m³ par jour. Les problèmes de pannes de la tuyauterie sont en train de trouver une solution définitive. »
Quant à la livraison de compteurs par la Regideso, il a donné une précision importante : « Nous livrons gratuitement les compteurs d’eau et selon la disponibilité des stocks. Le compteur d’eau est gratuit car délivré par la Regideso à son abonné mais celui-ci est tenu d’acheter le coffret ou la logette, ce dispositif qui permet l’installation du compteur »
Le coffret ne fait pas partie du don gratuit de la Regideso et ce dispositif revient à 40 $. Je tiens aussi à préciser que cette logette n’est pas fournie par la Regideso, il y a une entreprise qui s’en charge.
« Il est également à noter que la Regideso prélève un certain montant mensuellement pour la fixation ou le remplacement des compteurs en cas de panne. Mais ce dispositif est donné gratuitement », conclut le directeur.
Maître Aaron Ashuza Nabugore, avocat au barreau du Nord-Kivu, explique que le secteur de l’eau est libéralisé et tout celui qui estime avoir les moyens conséquents peut se lancer dans la distribution d’eau.
Pour lui, « Si le client est lésé, il peut revendiquer pour être rétabli dans ses droits. » L’article 48 de la Constitution garantit l’accès à l’eau potable à tout citoyen congolais.
Aussi, l’article 258 du Code civil congolais livre III qui donne à toute personne qui a subi un préjudice la possibilité d’aller en justice contre une personne, un groupe de personnes ou même une société afin de réclamer des dommages et intérêts.
Il ajoute que des actions communautaires doivent se multiplier pour pousser les décideurs et autorités à s’impliquer dans les questions de l’accès à l’eau potable par la population, mettre la pression sur les opérateurs « en utilisant les moyens légaux comme la justice, éduquer et former la population à travers les médias et subvenir aux besoins de la régie provinciale du service public de l’eau en province du Nord-Kivu pour y arriver. »
Samson Kikwamani recommande à la Regideso de multiplier les efforts et mener davantage de plaidoyers pour que toutes les aires de santé aient de l’eau potable et selon les normes.
« Je sais que ce n’est pas du tic au tac mais il y a lieu d’en faire une. Et si cette eau n’est pas de bonne qualité, elle peut être source de mort. Si une borne fontaine est destinée à 250 ménages selon les normes, je recommande donc à la Regideso de tenir compte de la démographie de la population de Goma dans la construction de nouvelles bornes fontaines et surtout de les alimenter en eau potable », dit-il.
D’autres jeunes pensent que le remplacement des équipes au sein de la Regideso est une solution. Jean Paul Mulagizi Nyunda, Président du Conseil de la jeunesse, déclare : « Nous recommandons le remplacement sans délai ni condition du directeur. »
Il rajoute : « L’accès à l’eau potable est notre droit et je continuerai à manifester jusqu’à ce que tout Goma ait accès à une eau potable car je crois que c’est possible. »
De son côté, Maître Aaron Ashuza Nabugore révèle que : « Les habitants peuvent consulter un avocat pour que ce dernier les aide soit en commençant par faire une sommation courtoise à cette société ou aller en justice. »
Le directeur régional de la Regideso au Nord-Kivu invite à son bureau tous ceux qui ont des questions et suggestions car, selon lui, la rue ne résout pas le problème : « La Regideso avec l’abonné, ce sont des relations privilégiées, le client est roi. La Regideso a tout un système ou mécanisme d’enregistrement des plaintes.
Dans toutes nos agences, nous avons un agent chargé d’enregistrer les plaintes. Mais si l’abonné n’arrive pas à trouver une solution dans nos agences les plus proches, nos bureaux sont toujours ouverts et nos abonnés sont toujours privilégiés. Leurs préoccupations ont toujours été notre priorité. Aller dans la rue n’est pas une démarche républicaine. Nous devons donc développer des démarches citoyennes », conclut Daniel Angoyo Rutia.
Cette recherche journalistique a été facilité par notre réseau, le Collectif des Radio Communautaire du Nord-kivu(CORACON).