Alice KAPISA est l’une des femmes rares qui dirigent une station de radio en Province du Nord-Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Dans sa ville, Butembo, on dénombre 38 stations dont celle de la Radio Salama qu’elle dirige.
Le Collectif des Radios et Télévisions Communautaires du Nord Kivu (COARACON) vous présente cette dame qui témoignage d’un engagement exemplaire dans le management d’un organe de presse au service de la communauté.
Alice est assise au bureau de la radio Salama, devant son ordinateur. Elle est visiblement très concentrée parce qu’elle est en train de traiter un son pour la prochaine émission. Son amour pour le travail bien fait, son courage d’effectuer un stage à la Radio Moto Oicha, implantée dans une zone insécurisée, lui a valu le surnom Ghislaine DUPONT. Cette distinction fait allusion à la journaliste française qui était assassinée au Mali en plein exercice de son travail.
Deuxième fille d’une famille de cinq enfants, Alice KAPISA maitrise la bonne gestion du temps pour remplir les tâches familiales et professionnelles. «Je me réveille tôt le matin à 5H00 pour faire la vaisselle, torchonner et préparer mes sœurs cadettes pour l’école. Puis je vais à la radio à 7h00 », dit cette femme de 24 ans.
Elle découvre, très tôt, sa passion pour la radio. Ce fut en 4e année des humanités. À l’époque elle était représentante de son école dans l’émission « parole aux élèves » diffusée sur les antennes de la radio CETROB, une autre radio de la ville de Butembo. Elle devient ainsi présentatrice des informations qui ont fait la une des journaux devant les élèves et enseignants chaque Lundi et Jeudi. Cela nourrît en elle l’ambition de devenir journaliste.
Son parcours universitaire
Pour matérialiser ses rêves en 2014 elle entre en G1 de graduat en sciences de l’information et de la communication à l’Institut Supérieur Emmanuel d’Alzon de Butembo, actuellement Université de l’Assomption au Congo. En 2018, la jeune diplômée rejoint la rédaction de la Radio Moto Oicha pour un stage. Elle décide de faire la promotion des droits de la femme par les medias à travers ses productions des émissions et reportages sur les activités des femmes de différents rangs sociaux. Oicha se trouve dans une zone où les rebelles des « Forces Démocratiques et Alliées » (ADF) font rage depuis plus de cinq ans. Mais Alice KAPISA a fait quand même son stage là-bas pour aider la population à obtenir de bonnes informations.
Le 26 Novembre 2019, la coordination du collectif des femmes journalistes décide de la nommer au poste de directrice de la radio Salama à Butembo où on la trouve en plein travail. Très soucieuse du développement de la radio, juste à sa prise des fonctions Alice KAPISA renforce des capacités du personnel composé de dix femmes et cinq hommes. Elle travaille avec ses collègues surtout sur le code d’éthique et de déontologie, des notions qu’elle a apprises pendant son stage à Oicha. Pour encourager les reporters de sa radio, elle participe activement aux différentes tâches de la rédaction: la récolte, le traitement et la diffusion des informations. Elle participe aussi à la production de l’émission parole aux femmes, la santé reproductrice de la femme, la lutte contre les violences basées sur le genre, la femme et la vie politique, la femme et l’économie. Pour réussir dans ses fonctions elle tient compte des conseils de ses prédécesseurs et de son entourage. Même sa famille la soutient ce qui n’est pas toujours évident au Congo.
Surmonter la peur
Certes le travail n’est pas facile. Alors qu’elle est en train de rentrer du travail le 09 Janvier 2020, la directrice est victime d’une agression de la part des hommes armés. Mais cela ne la frustre pas et ne la décourage pas : «Il est vrai que j’ai été menacé pour des raisons que j’ignore encore. Mais je n’ai pas peur ». Elle dit continuer son travail avec détermination car selon elle, cette agression fait partie de son passé.
Ce qui énerve Alice, c’est l’image que certains médias propagent en public au sujet de la femme. « Comme faire des sexes tapes, de l’ivresse des femmes, des informations qui font la une dans les radios et oublier les femmes qui nourrissent des familles et scolarisent les enfants par l’agriculture » se fâche-t-elle. Selon Alice KAPISA les femmes sont nombreuses qui font les meilleurs d’elles même dans le domaine de l’agriculture, l’administration, la politique et l’ économie. Elle invite les professionnelles des médias à avoir un œil regardant sur les activités réussies capables de positiver l’ image de la femme .
La directrice de la radio Salama, collègue aux 37 hommes directeurs des maisons de presse à Butembo, invite les promoteurs des radios à promouvoir les femmes en leur confiant des postes de responsabilité. Elle n’apprécie pas cette pratique de laisser travailler les femmes seulement comme réceptionniste ou caissière. Elle rejette le préjugé qu’une femme ne soit pas capable à gérer une entreprise ou une maison de médias.
Ses collègues témoignent
Des collaborateurs d’Alice lui donnent raison. Ils apprécient son travail depuis qu’elle dirige cette radio et sont convaincus par son savoir-faire. Ils citent par exemple le fait qu’à part ses charges comme coordonnatrice de l’entreprise de presse Salama, elle participe aux différentes tâches de la rédaction.
Jérémie KYASOKERA, rédacteur en chef, témoigne: Alice KAPISA est une femme au grand cœur qui encourage le travail bien fait et qui corrige ce qui n’a pas été bien fait avec sagesse, sa participation aux activités de la rédaction prouve sa simplicité dans sa grandeur, témoigne Jérémie .
Masiya BONGESA, l’un des reporters de la radio Salama, salue le climat de collaboration qui règne à la radio depuis que Alice KAPISA est directrice. Pour lui, les femmes qui occupent les postes de prise de décisions peuvent imiter sa simplicité et son esprit du travail en équipe pour faire disparaitre les stéréotypes qui continuent à peser sur les femmes responsables dans le monde professionnel.
Kavugho KIGHOMA, 35 ans, est l’une des auditeurs de la radio communautaire Salama. Ce qui l’intéresse plus sur cette chaine de radio c’est la diversité des voix féminines et masculines pendant la présentation des journaux et l’espace réservé à la femme sur le programme. Elle cite par exemple l’émission shangazi nipe shauri et la santé reproductrice de la femme. Selon cette auditrice, le programme prouve que la radio Salama est une radio communautaire soucieuse de l’épanouissement de la femme.
La directrice Alice KAPISA a un projet pour le long terme. C’est celui d’étendre la zone de couverture de la radio Salama afin que le message sur les droits de la femme atteigne un public plus grand. Par ailleurs, Alice rêve devenir correspondante d’une chaine internationale à l’instar de Ghislaine DUPONT.
Sifa BAHATI, journaliste à la radio Soleil de Butembo.